Cela fait trois mois qu'un tremblement de terre a perturbé le bon fonctionnement de la centrale de Fukushima. Avec ses
nombreuses centrales nucléaires, la France n'est pas à l'abri d'un fâcheux imprévu. Aussi, fort de l'observation du gouvernement japonais, à laquelle j'ai procédé ces derniers temps, je
me permets, avec toute l'humilité consécutive à ma tatamisation, de suggérer quelques modestes propositions aux responsables français qui, statistiquement, ont toutes les chances d'être
confrontés un jour à un problème similaire.
— Avant toute chose, le principe fondamental qui doit sous-tendre tous les autres et dont il faut être convaincu pour
persuader les foules qu'il est véridique: les éventuels effets d'une panique sont bien pires que les effets avérés des matières radio-actives.
— Dans une configuration idéale, les divers fonctionnaires et bureaucrates sont formés à nier évaluer rapidement une situation, sans exprimer le moindre doute. Ainsi, on est sûr qu'il ne leur viendra pas à l'idée de déranger les membres
du gouvernement sous les prétextes les plus futiles. Donc, repérer et virer dès à présent les plus anxieux ou les irrationnels qui s'imaginent avoir un devoir envers la
population.
— La situation doit être nommée avec les mots justes, comme «incident» ou «léger problème».
Immédiatement taxer de catastrophisme ceux qui utiliseraient des termes plus alarmants.
— Établir dès le départ que les causes de l'incident sont extérieures à la conception ou la maintenance
de la centrale. Au pire, admettre une erreur humaine.
— Insister sur le caractère exceptionnel des causes de l'incident, même si elles ne sont pas vraiment
imprévisibles, comme peuvent l'être les tremblements de terre ou les tsunamis au Japon.
— Laisser l'exploitant de la centrale gérer les opérations: nul besoin d'éléments extérieurs qui ne
feront que se repandre en critiques stériles. Les scientifiques, pointilleux par nature, voire par vice, ont la fâcheuse propension à se focaliser sur des détails secondaires et ne
peuvent s'empêcher de vouloir les dévoiler à tout venant. Cette attitude détestable entrave les efforts de réparation. Insister donc sur le fait qu'ils n'ont jamais les connaissances leur
permettant d'agir au mieux compte tenu de la spécificité de la situation.
S'ils proposent leur aide, la refuser catégoriquement. On rétorquera aux indépendants qu'ils ne sont pas habilités, aux
vieux qu'ils ne sont pas au courant des évolutions récentes, aux étrangers qu'ils méconnaissent les
particularismes culturels, etc.
— Fixer des dates pour les réparations, détailler les objectifs dans une feuille de route. Comme par la
suite, il sera bien évidemment impossible de s'y conformer, on peut donc se laisser aller aux prévisions les plus optimistes.
— Fermer une centrale en activité. Y trouver quelques défauts (pas besoin d'en inventer, il y en a
toujours un ou deux qui traînent) et montrer que l'on s'attache à adopter des mesures de préventions comme si on avait toujours fait ainsi auparavant.
— La vie politique doit continuer. La population sera pleinement rassurée si elle voit ses
représentants agir comme ils le font toujours. Donc, il convient de ne rien changer et de ne surtout pas hésiter à profiter de la situation pour régler ses comptes, y compris au sein de
son propre parti. Les médias se focaliseront dessus et éviteront ainsi de s'intéresser à des sujets inopportuns et anxiogènes tels que les conséquences sanitaires et écologiques.
— Quand on ne peut pas empêcher les radiations de se répandre, le plus simple reste encore d'empêcher
l'information de se répandre.
En effet, l'information doit être contrôlée, vérifiée, précise, et on prendra donc tout le temps nécessaire pour faire
les bons recoupements avant de la livrer au public. Cela génère évidemment des retards qui sont critiqués par d'inévitables esprits chagrins. Auquel cas, expliquer qu'il s'agit d'un choix
délibéré pour éviter la panique au sein de la population.
L'information doit être présentée de manière sérieuse, avec force graphiques, schémas explicatifs et rapports.
Attention, dans le cas d'un site web, préférer un design plutôt sommaire pour bien montrer que l'on agit dans l'urgence.
N'autoriser à en parler que les journalistes les plus objectifs, c'est-à-dire ceux qui n'ont jamais cédé à la tentation
d'une critique facile des choix gouvernementaux. Pour les spécialistes invités à donner leur avis dans les médias, l'objectivité est également une qualité essentielle. Elle
s'établit par la filiation à une institution digne de confiance (gouvernement, compagnie électrique…).
Les manifestations de mécontentement minant malhonnêtement le moral de la nation, on se gardera d'en faire l'écho. Les
plus bruyantes seront ridiculisées par quelques assertions pleine de bon sens bien placées.
— Quand on ne peut pas baisser la quantité de radiations émise, plusieurs solutions existent:
-
- relever les taux minimums de radiations acceptables. Dire que les anciens n'étaient plus adaptés à
la situation.
-
- faire en sorte que les relevés soient rassurants, en mesurant la radiation ambiante à 18m du sol
par exemple.
-
- populariser des comparaisons avec des activités impliquant des expositions aux radiations (voyage en avion, radio
médicales…) pour faire passer l'idée qu'il est normal d'y être soumis régulièrement.
— Concernant la contamination des aliments, là aussi, autant que possible, revoir à la hausse les
normes pour les doses admissibles. Autoriser la mise sur le marché de produits contaminés, inciter même leur consommation pour soutenir l'agriculture des zones sinistrées. En cas
de gros dépassement, rappeler les marchandises, mais le plus tard possible. Des analyses peuvent être envisagées, mais inutile de les pratiquer sur plus de 0,1% des aliments.
— Concéder le bien-fondé de quelques critiques, mais surtout pas sur le déroulement des réparations,
qui doit toujours être qualifié d'encourageant et d'exemplaire. Se focaliser sur quelques petits problèmes qui pourront facilement être réglés, ou qui le sont déjà. Toute critique
sérieuse se verra aussitôt qualifiée de rumeur sans fondement.
— Quand on a rien à dire, faire des excuses. C'est là une attitude toute japonaise qui demande une
adaptation pour les Français, culturellement moins disposés à s'excuser. Donc, on se contentera de dire que ce n'est pas de notre faute. Argument qui peut être renforcé
très efficacement en accusant quelqu'un d'autre, le plus communément un gouvernement précédent de l'opposition.
— Et surtout, répéter à outrance que l'on a bien tiré toutes les leçons de l'affaire, même si dans les
faits elle est loin d'être réglée et qu'on ne sait absolument ni quand ni comment elle se finira.
Ça fait beaucoup d'éléments à retenir, mais je ne m'inquiète pas pour nos responsables français. Le jour où ils seront confrontés à cette situation, ils sauront, j'en suis sûr, se montrer
aussi doués, et même supérieurs à leurs homologues japonais dans ce délicat exercice de communication.
Et en ce 17 juin, l'actualité montre que déjà un ministre français, Éric Besson, applique ce genre de principes avec
l'ingénieuse trouvaille suivante :
— Si on ne veut pas sortir du nucléaire, on peut toujours sortir des studios de télé où on en parle.
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C'est vrai qu'il y aurait de quoi faire une collection des plaques d'égout japonaises. Certaines valent le détour^^.
Je vous en offre 2 d'Osaka!